FRANÇAIS
Emmanuel Gaillard n’est plus : il s’en est allé le 1 avril 2021 en pleine activité et en toute discrétion. Sa disparition brutale constitue un véritable choc et provoque une grande tristesse pour tous ceux et celles qui l’ont connu, d’une manière ou d’une autre.
Emmanuel a été un Grand de l’arbitrage international – en théorie comme en pratique.
Acteur de premier plan du développement de l’arbitrage international, commercial ou d’investissement, il a su exercer bien des «métiers » du droit – professeur, avocat, arbitre, expert – manier tous les talents, former des générations d’étudiants, représenter des intérêts considérables dans de multiples affaires (il suffirait de citer l’affaire Yukos, inspirer nombre de praticiens. Eminent Professeur de droit, en France comme à l’étranger, et notamment à Harvard ou Yale, fondateur de la pratique de l’arbitrage international au sein du Cabinet Shearman & Sterling, arbitre recherché, brillant avocat, sollicité, redouté autant que respecté, créateur il y a peu du Cabinet Gaillard Banifatemi Shelbaya Disputes, il a sillonné le monde des idées et des dossiers avec curiosité et ouverture.
Ses écrits se sont imposés par leur originalité nourrie de ses expériences pratiques. Sa participation de premier plan au traité sur l’arbitrage international – le « Fouchard Gaillard Goldman » -, traduit en plusieurs langues, a été le début d’une œuvre féconde dans laquelle il faut notamment souligner sa contribution décisive à l’ordre juridique arbitral dans son remarquable cours relatif aux Aspects philosophiques de l’arbitrage international à L’Académie de droit international de la Haye, ses écrits sur l’arbitrage d’investissement ou encore, parmi de nombreuses contributions, sur la reconnaissance d’une sentence annulée dans son pays d’origine ou sur la corruption saisie par les arbitres internationaux. Dépassant les ordres juridiques internes, il a plaidé avec talent pour un véritable droit transnational de l’arbitrage.
Loin de se satisfaire de ces nombreuses activités, il aura encore participé très
activement à la création de l’Académie de l’arbitrage/Arbitration Academy, dont il a été le premier Président, suivi avec talent par Pierre Mayer, et auquel j’ai l’honneur de succéder. Réunissant chaque année praticiens, doctorants, parfois magistrats ou enseignants du monde entier, elle offre de manière unique cours et séminaires approfondis dispensés par d’éminents spécialistes de l’arbitrage, venant de tous les horizons, de toutes les cultures, de tous les pays. Contribuant aussi à faire de Paris une place d’arbitrage internationalement reconnue et appréciée, l’Académie constitue un lieu de rencontre et d’échange sans équivalent, deux éléments qui ont toujours guidé l’activité d’Emmanuel.
C’était toujours un plaisir renouvelé de discuter avec lui, d’échanger sur des sujets d’arbitrage ou bien d’autres. Ayant participé à différents arbitrages en sa présence, certains où il m’avait fait l’honneur de me nommer ou d’autres, je l’ai vu toujours égal à lui-même, sans emphase, respectueux et amical, persuasif sans avoir l’air d’y toucher, feignant un certain détachement de départ, puis par une montée en puissance par petites touches, développant au final une grande force de conviction. L’écouter plaider était un plaisir.
Au nom de l’Académie, qu’il continuait de suivre avec attention, et en mon nom personnel, j’adresse mes pensées très amicales et émues à sa famille, ses proches, ses associés et collaborateurs, en leur disant qu’Emmanuel aura pour nombre d’entre nous, en France et à l’étranger, à différents titres, beaucoup compté et donné par son extrême compétence, son grand professionnalisme, sa vive intelligence, sa rare exigence, son alliance de la belle théorie et de la meilleure pratique, son élégance naturelle, sa bienveillante simplicité, sa chaleur humaine. Il nous quitte beaucoup trop tôt, nous laissant tristes et désemparés, mais rien n’enlèvera la chance de l’avoir croisé, côtoyé, connu et apprécié.
Daniel Cohen